Sortie de Celle qui rêvait des tigres d’Élodie Chan

Un premier roman qui rugit doucement

Paru en mai 2025 chez L’Iconoclaste, Celle qui rêvait des tigres marque les débuts en littérature d’Élodie Chan, une autrice franco-cambodgienne jusqu’ici connue pour ses chroniques radiophoniques et ses essais sur les identités hybrides. Ce roman, à la fois poétique et politique, explore les liens entre mémoire familiale, exil silencieux et reconquête de soi. Le récit, porté par une voix féminine forte et introspective, oscille entre la France contemporaine et les ombres du Cambodge post-génocide, entre rêve et réalité, entre murmure et rugissement. « Ce livre m’a été dicté par les absences. Les mots sont venus pour nommer ce que l’histoire familiale avait tu », a confié Chan lors d’un entretien sur France Inter. Ce texte sensible, aux résonances oniriques, s’est rapidement hissé parmi les coups de cœur de la rentrée de printemps.

Une héroïne hantée par le silence

Le roman suit Lina, une jeune femme née en France de parents cambodgiens, qui découvre, à la mort de sa grand-mère, des carnets écrits en khmer. Ne parlant pas la langue, elle entreprend de faire traduire ces fragments pour combler les blancs de son histoire familiale. Chaque mot dévoilé fait apparaître un paysage effacé : celui d’un Cambodge ravagé par les Khmers rouges, d’un exil sans parole, d’un héritage indicible. Les cauchemars qui peuplaient ses nuits — notamment celui, récurrent, d’une tigresse blessée — prennent une signification nouvelle. « Ce n’était pas un rêve. C’était une mémoire que je ne savais pas mienne », dit Lina dans une des pages centrales du roman. Ainsi, Celle qui rêvait des tigres devient l’histoire d’un retour intérieur, une enquête affective où le passé familial affleure par éclats.

Un récit à la frontière du réel et du mythe

Le tigre du titre, loin d’être seulement un symbole de force, est ici un animal ambigu : prédateur et protecteur, gardien et menace. Dans la culture cambodgienne, il incarne à la fois la puissance ancestrale et le danger tapi dans les forêts de l’histoire. Élodie Chan tisse autour de ce motif une série d’apparitions oniriques, que Lina interprète comme des appels à comprendre ce qui a été tu par les générations précédentes. Le roman adopte parfois le ton du conte, avec une narration sinueuse, des répétitions rituelles, et une temporalité flottante. « J’ai voulu écrire comme on rêve : avec des digressions, des images récurrentes, et des seuils », explique l’autrice. Ce procédé donne au texte une texture singulière, entre autofiction, récit migratoire et mythe personnel.

La langue comme territoire à reconquérir

Au cœur du roman se trouve une tension fondamentale : Lina ne parle pas la langue de ses parents. Cette distance linguistique devient métaphore d’une fracture intime. « On m’a élevée dans le silence, pas dans l’oubli », écrit-elle. Le travail de traduction des carnets de sa grand-mère n’est pas seulement un acte de lecture, mais une entreprise de réparation. Élodie Chan inscrit ainsi la langue comme un lieu de combat et de réconciliation. Le français est traversé d’expressions khmères non traduites, de silences narratifs, de phrases suspendues — autant de traces de cette mémoire trouée. Le roman interroge aussi ce que signifie transmettre quand les mots manquent, quand les récits ont été volontairement effacés pour protéger les générations suivantes.

Thèmes : héritage, genre, identité diasporique

Ceux qui rêvent des tigres aborde de multiples thématiques sans les enfermer dans un discours didactique : le traumatisme post-génocide, la transmission familiale, les rôles genrés dans les communautés exilées, la difficulté d’aimer quand on ne connaît pas l’histoire qui vous habite. Lina est une figure féminine en construction, confrontée à une mère mutique, à un père absent, et à un héritage patriarcal qu’elle cherche à déconstruire. « Il n’y a pas de mot en khmer pour dire féministe, mais il y a des femmes qui se sont tues pour que d’autres puissent parler », lit-on dans un passage fort. Le roman touche donc à la question de l’émancipation à travers la mémoire, sans jamais tomber dans le pathos.

Accueil critique et lectorat conquis

À peine sorti, Celle qui rêvait des tigres a reçu un accueil enthousiaste. Le Monde des Livres parle d’un « roman fragile et féroce, comme son héroïne », tandis que Libération souligne « la maîtrise d’un style elliptique et évocateur ». Plusieurs librairies indépendantes (notamment à Toulouse, Nantes et Bruxelles) l’ont mis en avant dans leurs vitrines comme « la révélation printanière ». Sur les réseaux sociaux, le hashtag #RêverDesTigres rassemble déjà des centaines de citations annotées, de photos de lecteurs et de critiques personnelles qui saluent la finesse du propos et la puissance évocatrice de l’écriture. Le roman a également été sélectionné pour le prix Première Plume 2025.

Une autrice à suivre

Élodie Chan affirme qu’elle n’écrira pas de « suite » à ce roman, mais qu’elle travaille déjà à un projet hybride mêlant essai, témoignage et fiction sur la mémoire coloniale du Cambodge. Elle participera à plusieurs festivals en 2025 (Étonnants Voyageurs, America, et la Foire du livre de Genève), et des traductions sont déjà en négociation en anglais, vietnamien et allemand. Celle qui rêvait des tigres s’inscrit ainsi dans la lignée des récits diasporiques de Leïla Slimani, Kim Thúy ou Ocean Vuong, tout en affirmant une voix singulière et nécessaire. Comme l’écrit Chan en dernière page : « Ce n’est pas que j’ai appris à parler. C’est que j’ai cessé de rêver à la place des autres. »

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