Une rentrée littéraire sous le signe de la transmission et de la réinvention
Pour la rentrée littéraire d’août 2025, France Inter a révélé sa sélection de romans coups de cœur, affirmant son attachement aux textes audacieux, sensibles et résolument ancrés dans les questionnements contemporains. Composée par les journalistes littéraires de la station, cette sélection met en lumière des auteurs confirmés comme des voix émergentes, françaises et étrangères. Le fil conducteur semble être la transmission — qu’elle soit familiale, politique, ou stylistique — mais aussi la volonté de réinventer les formes narratives. « Ce qui nous a frappés cette année, c’est la force de l’intime porté à l’universel, dans une langue qui ose la singularité », explique Olivia Gesbert dans La Grande Table. Une rentrée à la fois diverse et cohérente, qui donne le ton de ce que l’automne littéraire aura à offrir.
Asya Djoulaït avec Ibn, un roman du deuil et de la dignité
Déjà remarqué par la presse, Ibn (Grasset) d’Asya Djoulaït figure en bonne place dans la sélection de France Inter. Ce roman, centré sur un adolescent qui décide d’enterrer seul sa mère, interroge la mémoire, les rites funéraires et la transmission dans les diasporas. La langue, épurée et intense, donne à cette nuit de deuil une densité quasi sacrée. « C’est un texte qui prend le silence au sérieux, mais qui n’a jamais peur du vide », commente Augustin Trapenard. Ibn s’impose comme l’un des romans les plus puissants de cette rentrée, aussi bien pour sa portée symbolique que pour sa justesse émotionnelle.

Le Sel sous la peau de Jeanne Ferney : chronique d’un amour silencieux
Publié chez Actes Sud, le second roman de Jeanne Ferney raconte une histoire d’amour entre deux femmes que tout oppose : Léna, journaliste parisienne, et Soraya, ouvrière dans une conserverie bretonne. À travers une écriture lente et sensuelle, l’autrice capte les hésitations du désir, les silences du quotidien, et la violence sourde des rapports sociaux. « C’est un roman social sans slogans, amoureux sans lyrisme — un récit qui avance comme une marée douce », résume Nicolas Demorand. La critique salue la finesse des dialogues et la profondeur des non-dits, dans une tradition proche d’Annie Ernaux ou de Marie-Hélène Lafon.
Un premier roman révélé : Celle qui rêvait des tigres d’Élodie Chan
Parmi les révélations, Celle qui rêvait des tigres (L’Iconoclaste) d’Élodie Chan s’impose comme une œuvre sensible sur la mémoire et l’exil. Le roman suit Lina, une Française d’origine cambodgienne hantée par les silences de sa famille. À travers le motif du tigre — à la fois rêve, mythe et blessure — Chan explore l’héritage traumatique des diasporas avec une écriture fragmentée et poétique. Pour France Inter, c’est « une première œuvre maîtrisée, à la croisée du conte, du récit d’initiation et du témoignage postcolonial ». Le livre est déjà pressenti pour plusieurs prix littéraires.
L’épopée méditerranéenne de Karim Rachedi : Les Fleurs de l’argile
Publié chez Le Seuil, ce roman dense et lyrique suit la trajectoire de Yacine, un jardinier algérois contraint à l’exil qui recompose son monde dans une serre de la Drôme. Entre légendes berbères, traditions populaires et mémoire migratoire, Les Fleurs de l’argile déploie une fresque intime et politique. Rachedi, déjà auteur d’essais remarqués, signe ici son premier roman de fiction, salué pour la richesse de sa langue. « C’est un texte organique, où la terre devient mémoire et les plantes des formes de résistance », note Eva Bester dans Remède à la mélancolie.
L’Invisible Couronne d’Hugo Lindenberg : un retour attendu
Lauréat du prix du Livre Inter 2021, Hugo Lindenberg revient avec un roman délicat sur l’usure du pouvoir et les jeux d’apparences dans le milieu culturel parisien. L’Invisible Couronne (Flammarion) met en scène un critique vieillissant confronté à l’effacement progressif de son influence. À travers une prose élégante et ironique, Lindenberg dissèque le microcosme littéraire sans amertume, mais avec une lucidité acérée. « C’est un texte sur la fin d’un monde — celui de l’autorité littéraire — écrit avec une intelligence affûtée », résume la chronique d’Augustin Trapenard.
Une rentrée attentive aux langues plurielles
Enfin, la sélection 2025 de France Inter se distingue aussi par sa place faite aux langues plurielles et aux récits postcoloniaux. Que ce soit dans les insertions de khmer chez Élodie Chan, les prières arabes dans Ibn, ou les idiomes berbères chez Karim Rachedi, les romans choisis révèlent une littérature française en pleine décentrage linguistique. « C’est une rentrée polyphonique, qui assume que la langue française est désormais traversée par d’autres mémoires, d’autres musiques », conclut la station. Une orientation littéraire en résonance avec les grands enjeux de notre temps.
